Shine : de la radio satellite à toute l’industrie, le data pour tous.

La rencontre de Tell et Guillaume

L’Express, une de mes cantines préférées rue St-Denis à Montréal. Le Potage à l’oseille ; le Flétan du Québec poché, écrasé de pommes de terre à l’ail, sauce vierge ; le Saumon poché, purée de pommes de terre au cerfeuil, beurre blanc, entre autres bons plats… Un régal pour les sens.

Le 11 mars 2020, j’y dine avec Guillaume Drouin, fondateur de Shine, une nouvelle plateforme apparut tout récemment dans le paysage de l’industrie de la musique au Québec. Avoir su que ce serait l’un de mes derniers repas au restaurant, j’aurais pris un dessert et un digestif ! Quelques jours plus tard, une pandémie planétaire allait mettre un terme aux plaisirs de la table en bonne compagnie dans un lieu public.

À peine informée de son existence, je me suis inscrite sur la plateforme Shine. Séduite mais intriguée par l’initiative audacieuse d’un parfait inconnu du milieu, j’ai souhaité en savoir plus sur l’homme, son histoire, ses motivations et ses intentions. Me voici donc à l’Express face à l’homme derrière Shine. Millénial et passionné, il passe facilement de la musique aux finances, des chiffres au numérique, il sait compter, coder, composer et veut Shiner le monde! Nettoyer la vitrine de l’industrie de cette épaisse couche d’opacité qui nous plombe.

Qu’est-ce que Shine ?

Si je m’adresse à un professionnel, je décris la plateforme ainsi : Shine est un outil en ligne qui permet aux ayants-droits d’enregistrements musicaux (artistes, producteurs, labels) de suivre la fréquence exacte des rotations de leurs œuvres sur Sirius XM et au dollar près les revenus collectés puis redistribués par SoundExchange. Shine offre un service de traitement de données (le fameux data) très complet, nettement supérieur à ceux proposés par les sociétés de gestion collective. C’est regrettable mais vrai, ceux qui gèrent l’argent des ayants-droits ne font pas toujours dans le détail question data.

Si un néophyte m’interroge sur la vocation de Shine je dirais que la plateforme est branchée 24/7 sur la radio satellite Sirius XM, collecte et analyse une grande quantité d’informations qui permet de prédire avec précision les sommes dues aux artistes et aux producteurs pour la diffusion de leurs chansons.

Shine gère ce data sans toucher aux droits et c’est en cela que la démarche de Guillaume est révolutionnaire car elle met à la disposition de tous des informations autrement indisponibles ou incomplètes sans prendre part au partage des bénéfices.

Par exemple, elle informe l’artiste que sa chanson X est passée sur la station 163 : ICI Musique Chansons le 3 juin à 06h06 puis à 14h06. Elle déclare que ce dernier trimestre, le total des rotations est de 369 pour une redevance Artiste Interprète de 11 030 $ et une redevance Titulaire des Droits Phono de 13 545 $. Elle présente, pour la période choisie, l’historique des chansons, des stations, des rotations ; la distribution horaire et hebdomadaire des rotations ; le classement de la semaine etc.

Shine impose une transparence aux sociétés de gestion collective, aux labels, aux caissiers et autres manageurs de ce monde pas toujours très clairs lorsqu’il s’agit de faire la lumière sur le montant de la paye. Dans sa boule de cristal, bien au-delà de la radio satellite nord-américaine, Shine voit venir une industrie aux manières franches, aux relevés lisibles et aux échanges de données fluides. À partir d’une seule source de revenus sur un seul territoire Guillaume Drouin a vu grand et il ira loin.

Les revenus XL versés par Sirius XM

Avec un peu plus de 30 millions d’abonnés aux US et un peu moins de 3 millions au Canada [a], cette source de revenu est Sirius XM, la seule Radio Satellite en Amérique du Nord.

Un peu d’histoire.

La radio par satellite est une idée apparue il y a trois décennies. En 1992, la Federal Communications Commission (FCC) des États-Unis attribue un spectre dans la bande « S » (2,3 GHz) pour la diffusion nationale du service de radio audio numérique par satellite (DARS – Digital Audio Radio Service). En 1997 la FCC accorde une licence pour diffuser sur cette bande à deux sociétés : CD Radio (plus tard Sirius Satellite Radio) et American Mobile Radio (plus tard XM Satellite Radio). En 2008, la fusion des deux sociétés donne naissance à Sirius XM et en 2011, une filiale canadienne du nouveau groupe est créée : Sirius XM Canada Holdings Inc.

Grâce à la licence accordée par la CRTC – signée pour la première fois en 2005 [b] – Sirius XM obtient le droit de diffuser son signal satellite (et de vendre ses abonnements) sur le territoire canadien. En échange, la compagnie s’engage à diffuser sur son signal satellite nord-américain des stations francophones et anglophones au contenu majoritairement canadien. Actuellement, on compte 11 stations canadiennes diffusées sur le signal satellite, dont six d’entre-elles – trois francophones et trois anglophones – 100% musicales.

  • 163 ICI Musique Chansons
  • 166 ICI Musique Franco Country
  • 174 Influence Franco
  • 162 CBC Radio 3
  • 171 CBC Country
  • 173 The Verge

Pour ce qui est de la station 169 – CBC Radio 1 et 170 – ICI Première, les 2 autres postes canadiens programmés par la Société Radio-Canada/CBC disponibles sur Sirius XM, les programmes sont ceux diffusés à l’antenne traditionnelle, donc : beaucoup de bla bla et très peu de boum boum.

En ce qui a trait à la programmation musicale : 4 de celles-ci sont concoctées par les équipes de Radio-Canada, en partie propriétaire de Sirius XM (environ 12%). Sur The Verge et Influence Franco, les artistes émergents sont privilégiés et choisis par des programmateurs de Sirius XM.

Que se passe-t-il lorsque 6 radios diffusent par satellite un contenu canadien à des dizaines de millions d’abonnés payants dans toute l’Amérique du nord ? L’argent tombe du ciel et atterrit surtout dans la cour des artistes et des producteurs propriétaires des bandes maîtresses des œuvres en rotation sur Sirius XM.

SoundExchange

Au début du millénaire, la RIAA (The Recording Industry Association of America), crée SoundExchange, une société américaine de gestion collective de droits voisins du droit d’auteur. Ce droit « dit » voisin est un droit reconnu aux artistes interprètes, aux musiciens accompagnateurs, aux producteurs ou aux labels propriétaires des enregistrements d’œuvres musicales. Le droit d’auteur quant a lui est lié à l’œuvre immatérielle, c’est-à-dire aux paroles et à la musique d’une chanson par exemple, indépendamment de sa fixation sur un support. Vous me suivez ? La différence des sommes perçues pour ces droits est énorme.

Par la loi, Sirius XM doit verser à SoundExchange 15,5% de ses revenus annuels bruts [c] (8.1 milliards de dollars US annuel) pour la licence des contenus diffusés. Le montant de la distribution des droits voisins s’élève donc à près d’un milliard de dollars US annuellement. Pour ce qui est des droits d’auteurs, on en cause un peu plus tard, vous verrez qu’on est loin du compte!

Source : SoundExchange Fiscal Report 2019

Regardons les chiffres.

Lors des 12 derniers mois, environ 433 240 chansons ont été diffusées sur les trois postes musicaux francos de SiriusXM. Cela signifie que SoundExchange a versé aux ayants-droits Québécois et Canadiens Francophones la somme d’environ 20 756 000 $ US en droits voisins pour cette période.

C’est l’équivalent de 57 000 $ US distribués chaque jour aux artistes interprètes et aux producteurs des bandes maîtresses du Québec et de la francophonie canadienne.

Ces chiffres nous permettent de calculer qu’une chanson diffusée sur Sirius XM génère environ 48 $ US chaque fois qu’elle joue. On sait que Sirius XM diffuse de la musique 24h/24, 7 jours sur 7, alors oui, le compteur à pépètes tourne à plein régime. De cette somme, 50% est distribuée aux producteurs et labels, 45% aux artistes interprètes et 5% à l’American Federation of Musicians (AFM) et SAG-AFTRA, qui rémunèrent les musiciens accompagnateurs et de studio.

Source : SoundExchange

Même chose au Canada anglais. SoundExchange verse environ 20 millions de $US aux ayants-droits pour le contenu des 3 postes canadiens-anglais diffusés sur le signal satellite de Sirius XM. Ajoutons à cela que beaucoup d’artistes canadiens anglophones sont diffusés sur les 100 + autres postes musicaux américains, sans oublier que Sirius XM participe aux fonds MUSICACTION et FACTOR entre autres.

À noter que malgré les 3 500 licenciés de SoundExchange [d], 99% des revenus collectés et distribués par cette société proviennent exclusivement de Sirius XM pour la diffusion de musique sur le signal satellite. Les diffusions de chansons dans les établissements commerciaux ainsi que celles faites sur les postes d’écoute en ligne ne génèrent à peu près aucun droit – ou l’équivalent de quelques cents par mois. Nous sommes loin de la moyenne de 48 US$ / spin pour les diffusions sur le signal satellite.

Où suis-je donc allée chercher tout ça ?

Une seule adresse : Shine. Guillaume Drouin collecte et analyse du data depuis plusieurs années et la plateforme qu’il a créée il y a un an offre une lecture de cette part du marché de la musique qu’aucune société de gestion collective ne propose.

Regardez-moi le tableau. Joli non ?

Source : Shine Dashboard

Un abonné Shine peut voir avec exactitude son empreinte sonore sur Sirius XM et prévoir les sommes qui vont lui être versées directement par SoundExchange ou via les sociétés de gestion collective dont il est membre.

Personnellement, je suis membre d’Artisti en tant qu’interprète et de Soproq en tant que producteur pour le territoire Nord-Américain. Je défends la gestion collective depuis toujours mais j’avoue que depuis quelques années, mes convictions sont mises à l’épreuve. Pourquoi verser un pourcentage à un organisme de gestion collective qui souvent paye plus tard des sommes peu ou mal documentées ? Je vous reste fidèle pour l’instant mes amis mais espère plus de transparence question données.

Je serais patronne d’une société de gestion de droits, je signerais sur le champ un contrat de service avec Shine afin d’offrir à mes membres le data dont ils ont besoin pour faire leur travail. Qu’est-ce qu’ils attendent ? Qu’on les quitte ? Drapeau rouge tout le monde. Le data est là, si vous n’avez pas les ressources pour le traiter, faites appel aux géniaux entrepreneurs qui mangent, boivent et fument du data 24/7 !

Et la part des auteurs et compositeurs dans tout ça ?

J’ai beau être au conseil d’administration de la SOCAN, poser beaucoup de questions au personnel qualifié de la maison, avoir accès à une documentation privilégiée, j’aurais du mal à répondre clairement à cette question.

Selon le rapport annuel 2018, la SOCAN a collecté 16.1 millions de dollars canadiens pour une année, pour le territoire canadien et pour l’ensemble des postes Sirius XM. Ce montant représente 4% du revenu brut (environ 400 millions $) de Sirius XM Canada.

La SOCAN distribue ces revenus par « Sondage » tout comme le font les sociétés de gestion américaines, ASCAP et BMI. Cela signifie que la SOCAN base sa répartition sur la programmation Sirius XM de 7 jours par mois. Le data existe pourtant– au spin près. Les maisons de distribution de musique en ligne nous transmettent des relevés très détaillés, au stream près. Pourquoi certaines sociétés de gestion de droits [e] ont tant de mal à évoluer de ce côté-là?

D’après les derniers relevés que j’ai pu consulter, 54% de la somme collectée pour la radio satellite fut versée aux sociétés de gestion étrangères, principalement américaines, 38.3% aux éditeurs de la SOCAN et 7.2% seulement aux auteurs canadiens. Combien versent les Américains à la SOCAN pour la diffusion de notre contenu sur leur territoire  ? Bonne question. Je vais continuer de la poser.

Guillaume Drouin n’a pas fini de collecter du data. À peine lancée au Québec, Shine prévoit d’entreprendre sur d’autres territoires sa mission d’éclaireur. Les radios terrestres n’ont qu’à bien se tenir, Shine les a déjà sur écoute. Le data est bien là et ceux qui rechignent à le digérer vont se faire dévorer par les processeurs.

Le 2 octobre 2000, Shawn Fanning 19 ans faisait la une de Time Magazine avec Napster, l’ancêtre du streaming devenu 20 ans plus tard la norme. Dans l’article on peut lire: « Ce programme fait tout ce qu’une application est censée faire : il crée une communauté, brise les barrières, est viral, évolutif, élimine les intermédiaires – et, oh, oui, c’est peut-être illégal… ».

De la même manière Shine fait tout ce qu’une application révolutionnaire est censée faire : elle ouvre les portes d’un nouveau monde où le data est accessible à tous, rend obsolète les usages d’hier, redonne le contrôle aux créateurs qui le souhaitent, offre aux ayant-droits un outil fiable leur permettant de vérifier le boulot de leurs gestionnaires – et, oh, oui, c’est légal …

L’invention de Guillaume Drouin est tout aussi brillante que l’idée du P2P et je vois bien notre entrepreneur de l’Île d’Orléans à la une de Billboard dans quelques années. Moi aussi j’ai une boule de cristal !

[a] Source : Sirius XM. En date du 31 mars 2020, Sirius XM comptait 30 millions d’abonnés et Sirius XM Canada 2,687 millions.

[b] Source : CRTC.

[c] Cette entente est valide jusqu’en 2027. Les revenus provenant de SiriusXM versés par SoundExchange ne devraient donc pas subir de fluctuations importantes dans les années futures, à moins d’une baisse substantielle du nombre d’abonnés payant à SiriusXM.

[d] Pour la liste complète : Who Pays SoundExchange

[e] Le portail de la SACEM en France est une excellente source de data.

Ayent, le 12 juin 2020. Merci à Guillaume Drouin pour son aide précieuse.

Pour se rendre sur Shine, c’est ICI

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