
Bravo ! Je suis contente. Heureuse que La Loi sur la diffusion continue en ligne, connue sous le nom de « projet de loi C-11 », a reçu la sanction royale jeudi. Elle vise à mettre à jour la Loi sur la radiodiffusion, afin d’obliger les plateformes numériques telles que Netflix, YouTube et TikTok à promouvoir le contenu canadien et à y contribuer peut-on lire dans les gazettes canadiennes de la semaine dernière.
P.S. Ouppelayoye… D’entrée, mettre dans le même panier Netflix, YouTube et TikTok, ça part mal 🤔
Un peu de bon humeur ça fait du bien. C’est comme un rayon de soleil au milieu de la grisaille, un geste tendre dans un monde de brute, une bouffée d’air frais en pleine canicule. Levons nos verres, faisons la fête, profitons de ce moment de grâce, sans chialer, le temps de porter un toast aux bonnes intentions de tous ceux qui ont soutenu ce projet de loi jusqu’au vote final depuis la chambre à accoucher des lois bonnes pour le moral du bon peuple. Je like. 👍🏻
Y’a qu’à lire les commentaires ! Waouh !
« Un grand jour pour le milieu musical. Avec l’adoption du projet de loi, une étape majeure a été franchie vers l’instauration d’un système plus équitable qui contribuera à un meilleur rayonnement de nos musiques qui en éprouvent un besoin vital. » ADISQ
« Une étape cruciale pour la reconnaissance et la valorisation du travail des créatrices et créateurs de musique… ceux-ci pourront mieux gérer l’utilisation de leurs œuvres et bénéficier d’une rémunération juste et équitable. » SPACQ
« Un moment historique » pour l’AQPM). L’Union des artistes (UDA), la Guilde des musiciennes et musiciens du Québec (GMMQ), l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ) et la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC) ont dit se réjouir de l’adoption de C-11.

La loi C11, sous l’autorité réglementaire du CRTC, veut obliger les plateformes de diffusion en ligne à promouvoir au pays le contenu canadien et à participer financièrement à sa production.
Les gueules de bois de lendemains de fête, on connait. Je ne voudrais pas être cette chipie qui plante la fête, la streaming police who crashes the party, mais j’ai bien peur d’avoir quelques réserves quant à l’efficacité du processus du point de vue des créateurs. L’intention est bonne à priori. Je me pose toutefois quelques questions.
01 Qu’est-ce que le CRTC en charge des opérations ? Cet organisme est-il compétent pour faire le job ?
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes est un organisme public qui régule les télécommunications au Canada. Le CRTC a été fondé en 1968. Son but initial était de réglementer le contenu des télécommunications au Canada, de protéger la culture et de sauvegarder l’identité nationale.
Selon « L’internet Society », un groupe qui défend un internet ouvert et sécurisé, le fait de donner au CRTC le pouvoir de réglementer une telle ressource mondiale montre que le gouvernement ne comprend pas comment fonctionne le web ni comment les Canadiens consomment du contenu.
« C-11, comme son prédécesseur C-10, est une tentative de mettre à jour la loi archaïque sur la radiodiffusion et de l’appliquer aux technologies du XXIe siècle. Cependant, l’internet n’est pas un diffuseur », a souligné Mark Buell, vice-président de la section nord-américaine de la société. La Presse, le 10 février 2022.
En effet, diffuseurs et plateformes d’écoute en ligne fonctionnent selon un Modus Operandi très différent. Les premiers diffusent un programme défini, les secondes donnent accès à un contenu infini. Le consommateur choisit d’écouter ou pas une radio en fonction de son programme, la plateforme propose, le consommateur dispose. Les critères de sélection d’une plateforme peuvent être : le coût de l’abonnement, la qualité sonore, la géolocalisation, les algorithmes, le look, la communauté… tout sauf le contenu qui est pratiquement le même sur toutes les principales plateformes.
Mettre en avant les œuvres canadiennes au Canada fait du sens à la radio mais sur les plateformes, cela revient à faire abstraction des trois principes fondamentaux à la base du succès des Spotify, Apple Music, Qobuz, Tidal et autres Deezer de ce monde : répertoire illimité – marché international – liberté de choix de l’auditeur.
Vous me dites : oui, bon, le consommateur est roi, c’est super mais l’artiste lui se noie dans un océan de contenu ! Pas faux mais, dans un monde sans Internet, combien de mes albums seraient disponibles ici ou là, combien de mes chansons passeraient dans quelles radios ?
Depuis la création en 1971 du système MAPL, le CRTC a largement contribué à favoriser les créateurs et producteurs canadiens. Le fait reste incontestable mais Internet a ouvert aux créateurs, producteurs et consommateurs canadiens l’accès au marché international. Les enjeux, les habitudes, les circonstances ont changé. Aucune loi ne nous fera revenir en arrière. Nous devons inventer de nouvelles astuces pour exister dans ce nouveau contexte.
02 Le système MALP et le contenu canadien, c’est quoi ?
Selon le CRTC : Comment définir une pièce musicale canadienne ? Le CRTC précise ce qu’est une pièce musicale canadienne dans le Règlement sur la radio. Ce règlement prévoit quatre éléments qui servent à établir qu’une pièce musicale est canadienne : la musique, l’artiste interprète, la production et les paroles (MAPL).
Pour être considérée comme contenu canadien, une pièce musicale doit généralement remplir au moins deux des conditions suivantes :
• M (musique) – la musique doit être composée entièrement par un Canadien.
• A (artiste interprète) – la musique ou les paroles sont interprétées principalement par un Canadien.
• P (production) – la pièce musicale est une prestation en direct qui est : soit enregistrée en entier au Canada, soit interprétée en entier au Canada et diffusée en direct au Canada.
• L (paroles lyriques) – les paroles sont écrites entièrement par un Canadien.
En 1991, notre très canadien Bryan Adams s’est fâché tout rouge contre le système MAPL. Pour avoir collaboré avec des étrangers à l’écriture de certaines de ses chansons, il a perdu son statut d’artiste canadien. Bien que sur le site du gouvernement la règle reste inchangée, il aurait tout de même réussi à faire bouger les lignes. Sauf mon erreur, aujourd’hui, les paroles et la musique d’une chanson peuvent être créées à 50% par un Canadien pour entrer dans le cercle béni du CanCon. (Canadian Content)
Ces règles sont parait-il à nouveau à l’étude. Une toute jeune canadienne, Athena Robbins, a publié en 2022 une petite vidéo qui explique (en anglais) comment fonctionne le système. Seulement 39 vues à ce jour et pourtant… tout y est !
Qu’en sera-t-il des contenus musicaux officiels (nos enregistrements) qui accompagnent les posts TikTok, Instagram, FaceBook ou YouTube Short, les speed-up, les extraits de moins d’une minute ? Comment ces contenus publiés par des utilisateurs aux pseudos farfelus, vivant on ne sait où, vont-ils être répertoriés par les plateformes et classés par le CRTC ? À quoi va ressembler le DATA s’il est seulement disponible ? La vidéo d’une brésilienne sur la plage qui se trémousse sur ma chanson Gilberto sera-t-elle labellisée contenu brésilien ? On n’est pas sorti du bois ! D’ici à ce qu’une loi soit applicable, (des années), d’autres formats, d’autres « supports », d’autres plateformes auront fait surface sur la toile rendant obsolète des règles issues des modes de radiodiffusion régionale.
Le succès en ligne, soit une monétisation viable, doit passer par une percée internationale. Regardez mes statistiques 2021 – 2022. J’étais pourtant très présente au Canada en 2021/2022, en tournée, dans les médias… Pas tellement en France durant cette période.


03 À qui vont profiter ces possibles nouvelles sources de financement?
Le super prédateur au sommet de la chaine alimentaire de l’industrie de la musique c’est le financier. Tout en bas, se trouve le talent (auteurs, compositeurs… les artistes et artisans.) Ce modèle d’affaire existe depuis toujours dans notre milieu. Les éditeurs, les labels, les médias, souvent bénéficiaires de larges fonds publiques ont tous dominé ensemble ou séparément, à un moment ou un autre l’industrie de la musique. Quand une nouvelle source de revenu apparaît dans l’équation, elle arrive toujours par le haut. Le contenu se crée quand le talent et le financier se rencontrent quelque part entre ces deux pôles. Plus cette magie opère au plus près du haut de la chaine, plus c’est rentable. Lorsque ça se passe en bas de la chaine, au mieux on survit de sa musique, au pire on garde sa job de jour. Si les multinationales viennent à investir dans la production locale, ce pactole sera taxé d’un côté et alimentera de l’autre les financiers déjà bien en place. C’est une très bonne chose cela dit. Le gouvernement pourra ainsi approvisionner son système de subventions préexistant et les financiers auront un peu plus de marge pour produire ce qu’ils produisent déjà.
L’application éventuelle de la loi C11 va-t-elle considérablement modifier le standing des artistes côtoyant le bas de la chaine alimentaire ? Je ne le crois pas. L’artiste doit grimper dans l’échelle de cette chaine alimentaire pour atteindre un seuil de rentabilité raisonnable. Se rapprocher du financier ou même le devenir lui-même. Le succès commercial, le plus souvent fugace, peut, s’il est bien géré, aider la cause de l’artiste à long terme mais généralement il profite au financier qui lui sait faire en la matière. Il ne passe pas ses nuits à écrire des chansons ou à tourner dans tous les sens à la rencontre de son public.
Apprendre d'hier, vivre aujourd'hui, espérer pour demain. L'important, c'est de ne pas arrêter de questionner - Albert Einstein
