Redevances SOCAN : Collecte, Traitement et Distribution

Au placard mon casque de Directeur au Conseil d’Administration de la SOCAN. Dans le tiroir mon béret d’artiste québécoise. Aujourd’hui, j’enfonce ma tuque de blogueuse et réagis à la parution d’une série noire d’articles consacrés aux revenus générés par la diffusion de musique à la radio.

Des vedettes de la chanson québécoise signent une rare dénonciation publique, dans une lettre obtenue par Radio-Canada qui sera dévoilée mardi. Coeur de Pirate, Gilles Vigneault, Corneille, ou encore Ariane Moffatt allèguent avoir perdu des revenus de redevances radio au profit des artistes anglophones du reste du Canada. (Radio-Canada, le 20 septembre)

Voilà le premier couplet du premier article publié sur le site de Radio-Canada cette semaine accusant la SOCAN d’avoir injustement réparti les redevances qu’elle perçoit des radios commerciales. D’autres articles sur le même thème ont suivi dans La Presse et Le Devoir. On y lit beaucoup de gros mots que je ne répèterai pas ici.

Il est très difficile d’exposer clairement la situation, encore plus difficile de la comprendre. Certains artistes et leur représentants ont l’impression d’avoir été lésés et accusent la SOCAN d’avoir :

Réparti inéquitablement les sommes qu’elle perçoit entre les auteurs, les compositeurs et leurs éditeurs de l’ensemble du Canada.

Qui a tord, qui a raison ? Avant de prendre partie, prenons de la hauteur et le temps de survoler le fonctionnement de la répartition.

La répartition 1.0

Le mandat de la SOCAN (et de toutes les sociétés de gestion collective de droits d’auteurs dans le monde) est de collecter des diffuseurs, ou autres utilisateurs de musique, des redevances qu’elle redistribue ensuite aux ayants-droits (les auteurs, les compositeurs, les éditeurs et les propriétaires de « catalogues éditoriaux »), membres de la SOCAN ou pas. Un ayant-droit est un ayant droit. Qu’il soit Québécois, Canadien ou Italien.

La collecte s’organise principalement autour de deux types de règles: les Tarifs et les Licences.

Les Tarifs

La Commission du droit d’auteur du Canada a pour mandat d’intervenir dans l’homologation de Tarifs pour les œuvres dont les droits sont gérés collectivement. (Radio, Télévision, Cable TV, Avion, Patinoires, Karaoke, Département de la défense, Concerts, Salle de Cinéma, Magie, Éducation, Comédie, Cirques….pour ne citer que ces quelques exemples). Il existe +ou- une cinquantaine de Tarifs sans compter leurs différentes versions, selon la nature spécifique des diffuseurs . Si l’on prend l’exemple des radios, elles sont : commerciales, non-commerciales, communautaires, nationales, satellite ou en ligne.

Les licences

Les entreprises « utilisatrices » de musique qui ne sont pas assujetties aux Tarifs de la « Commission des droits d’auteur » négocient directement et individuellement avec la SOCAN des licences leur permettant de diffuser (utiliser) légalement son répertoire. C’est le cas de toutes les plateformes de streaming. Spotify, Apple Music, Amazon… De YouTube à FaceBook en passant par TikTok et tant d’autres, on négocie au cas par cas, pays par pays, type de droits par type droits. Ces ententes sont, la plupart du temps, de courtes durées (2 ou 3 ans) compte tenu de l’évolution rapide du marché avec ses nouveaux joueurs, ses nouvelles tendances et les consommateurs plus volatiles que par le passé pré-numérique. C’est un boulot énorme.

Durant la pandémie, la fermeture des salles de spectacle a entraîné une forte augmentation de la diffusion de concerts en ligne : live, en différé, payant, gratuit, devant public ou pas…. Toutes les combinaisons sont possibles. Un concert filmé à Montréal, produit par une société américaine, hébergé sur une plateforme hollandaise et diffusé dans le monde…. Qui va payer les redevances ? Le propriétaire de la plateforme qui héberge le concert ? Le producteur ? Quelle société de gestion collective doit gérer les droits ? Voilà un exemple de dossier exigeant en ressources humaines, avec beaucoup d’inconnus et un faible potentiel commercial.

L’organisation de la collecte de redevances est extrêmement complexe. Ses méthodes évoluent constamment et tous les changements, je dis bien toutes les modifications apportées aux méthodes de calcul des sommes dues par les diffuseur et collectées par la SOCAN se veulent plus équitables, plus justes, plus précises, et ce pour l’ensemble de la communauté des membres de l’organisation.

La distribution

Une fois les redevances collectées, la SOCAN procède au traitement des données transmises par les diffuseurs. Celles-ci sont bien sûr de plus en plus précises mais le lot d’information est de plus en plus volumineux. On parle de milliards de données à traiter à chaque répartition. Un travail minutieux, pointu et technique qui ne peut se faire sans outils puissants. La SOCAN doit constamment moderniser ses méthodes et son système de traitement.

Vient ensuite la distribution et toutes les règles qui vont avec, aussi nombreuses et complexes que celles de la collecte. Je répète exactement ce que j’ai écrit plus haut : les règles de distribution évoluent constamment et tous les changements, je dis bien toutes les modifications apportées aux méthodes de calcul des sommes dues à tous les ayants-droits se veulent plus équitables, plus justes, plus précises.

Il est impossible pour moi d’imaginer un seul instant que la direction de la SOCAN, son personnel ou son Conseil d’administration puissent instaurer des règles de répartitions injustes du point de vue de l’ensemble des membres de notre société même si, il faut bien l’admettre, un changement de règle n’aura pas le même impact sur tout le monde. Les règles de répartition en vigueur s’appliquent d’une manière assez mathématique. Les effets de ces règles peuvent être ressentis de manières très différentes par les uns ou par les autres. Regardons de plus près un exemple très concret.

Pay for Play VS Follow the dollar

Si je tente de traduire cette expression, cela donne : « une diffusion = une redevance » Versus « la redevance pour la diffusion d’un titre est proportionnelle aux nombres d’auditeurs dont jouit la radio ». On cause ici des règles de distribution ou comment sont redistribués aux ayants-droits les sommes versées par les radios commerciales.

Jusqu’en 2021, l’importance, la taille ou le nombre d’auditeurs d’une radio commerciale n’avaient aucun impact sur le taux de redevances. Autrement dit : la chanson « Boubou » diffusée sur radio Abitibi ou « PapaDick » sur une radio Top 40 de Toronto = une redevance fixe et identique pour tout le monde. Durant des décennies, la SOCAN c’était ça : « One Pay for one Play ».

Depuis une année, la SOCAN applique la règle « Follow the Dollar« . Cette règle tient compte de l’importance de la radio en terme d’auditeurs et de sa valeur commerciale. Admettons que « Boubou » et « PapaDick » rapportaient aux ayants-droits chacune 1$ avant 2021, aujourd’hui ce ne serait plus le cas. Si un passage de « PapaDick » sur Top 40 Toronto vaut maintenant 1$80, « Boubou » sur Radio Abitibi rapporte 0,20$. Ces chiffres sont complètement fictifs et posés là pour exemple mais vous l’avez compris. La règle appliquée depuis 2021 favorise les ayants-droits (souvent des artistes populaires) dont les oeuvres sont diffusées sur les grandes radios commerciales à travers le Canada et pénalise (d’une certaine manière) les artistes moins connus qui passent en région. Ce changement fut par ailleurs revendiqué (sauf mon erreur) et salué par ceux et celles qui affirment avoir été floués dans la lettre et les articles publiés en début de semaine.

Qu’est ce qui est juste? Ce n’est pas évident.

Des sondages au DATA

Autre grand changement d’époque. Rappelons au lecteur qu’autrefois (et encore un peu aujourd’hui) l’identification des titres diffusés sur les radios commerciales se faisaient par sondage. Pendant quelques jours par mois, quelques fois dans l’année, on notait les titres des chansons diffusées et cette liste s’appliquait aux périodes non « sondées ». Si « Boubou » est passé 8 fois dans la semaine sondée, on va considérer que la chanson passe 8 fois par semaine toutes les semaines. Yeah !

Depuis 2019, la plupart des radios commerciales du Canada transmettent leur programmation avec précision et la SOCAN traite ces informations en fonction. On peut toujours améliorer les services de la répartition mais on atteindra jamais la perfection, car lorsque l’on donne un peu plus ici ou là on retire un peu plus à droite à gauche. Lorsque plus de chansons sont recensées, plus d’artistes sont rémunérés mais les parts diminuent. C’est logique, mathématique. Le seul objectif raisonnable est d’être le moins injuste possible.

Rideau

Voilà ce que je peux dire aujourd’hui de la répartition. J’irai plus loin ou plus en détails à l’occasion d’un autre post. J’espère que ces quelques exemples et bouts d’information vous aideront à mieux comprendre la répartition et, possiblement la situation si mal décrite dans nos gazettes récemment.

Un changement de règle de répartition peut « impacter » d’une manière négative les revenus d’un ayant droit mais d’autres paramètres peuvent aussi jouer sur la balance. Le succès commercial de la radio elle-même, les politiques de programmation, les cotas, les ralentissements dans la carrière d’un artiste, les habitudes des consommateurs, les fluctuations du marché… La liste est longue.

En tant que Directeur du Conseil d’administration de la SOCAN et membre de comités concernés par l’affaire évoquée dans les journaux Québécois récemment, je ne peux m’exprimer. Quiconque est passé par un CA sait que la parole d’un CA est collective et non individuelle.

Par contre, en tant qu’artiste Québécoise, je soutiens mordicus la gestion collective, ma société de gestion la SOCAN, Jennifer Brown notre CEO et Marc Ouellette, président de notre CA.

J’espère que d’autres artistes et éditeurs feront de même, publiquement ou non. La SOCAN est notre maison, notre société, nous en sommes les propriétaires. À nous de participer à sa réussite et d’en profiter ensemble pleinement ensuite.

Je ferai tout ce que je peux pour que la SOCAN soit meilleure partenaire mais, ne ferai rien qui pourrait la briser. Alors ça jamais !

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