SOCAN vs FEQ. C’est quoi le problème ?

Le contexte

Vendredi 11 juillet, la SOCAN a publié sur son site (socan.com) un communiqué concernant les droits de licence impayés par certains festivals. À la lecture du document, on remarque que le titre parle des festivals au pluriel, alors que dans le corps du texte, il n’est question que de BLEUFEU et du Festival d’été de Québec (FEQ). On reproche aux organisateurs de ne pas verser de redevances aux créateurs et créatrices de musique, ainsi qu’à leurs éditeurs et éditrices, lorsque leur musique est exécutée sur les scènes de l’événement.

À la toute fin de l’article, la SOCAN rappelle à toutes les entités qui organisent des festivals de faire ce qui est juste, et de verser aux créateurs et créatrices leur part équitable. En anglais, cela donne :
“We call on Bleufeu and Festival d’été de Québec – and all entities involved in putting on festivals – to do what is right and pay music creators their fair share.”


Dix questions qu’on pourrait se poser

1. Qu’est-ce que BLEUFEU ?
Pour ceux qui, comme moi, ne connaissaient pas : BLEUFEU est une association classée comme organisation civique et amicale, selon le Code d’activité économique (CAE) 9861.

Ce type d’organisme à but non lucratif (OBNL) a des objectifs sociaux, culturels, communautaires ou patriotiques, souvent sans vocation commerciale directe. Le CAE 9861 est utilisé par le Registraire des entreprises du Québec (REQ) pour classifier ce type d’activités.

2. Quel est le statut du Festival d’été de Québec ?
Le FEQ est enregistré sous le CAE 9639 : Services de divertissement et de loisirs (théâtre et autres spectacles).

Le trio s’achève par La Fondation du Festival international de Québec, classée sous le CAE 8694 : Organismes de planification et de soutien des services sociaux. Il s’agit d’un OBNL incorporé pour mettre en place, financer, planifier et assurer la pérennité du FEQ. Depuis février 2022, l’organisation opérante s’appelle BLEUFEU.

Classification et codes des activités économiques

3. Ce modèle d’affaires est-il le même pour tous les festivals au Canada ?
Beaucoup de festivals canadiens sont en effet des OBNL. Le FME, POP Montréal, les Francos de Montréal, le Festival en chanson de Petite-Vallée, le Toronto Jazz Festival, le Regina Folk Festival, pour ne nommer que ceux-là. On peut donc déduire que la majorité des festivals au pays ont un statut OBNL ou OBE.

4. Quels sont les avantages d’opérer sous un statut OBNL ou OBE ?
Selon les textes officiels, ce statut permet notamment de :

  • recevoir des subventions gouvernementales (Conseil des arts du Canada, Patrimoine Canada, conseils provinciaux, etc.) ;
  • recevoir des dons déductibles d’impôt ;
  • réduire les charges fiscales.

5. Les artistes programmés dans les festivals sont-ils payés ?
Oui. Je le jure, on m’a posé la question ! Le producteur d’un spectacle perçoit du festival un cachet négocié et se charge ensuite de rémunérer les interprètes (chanteurs, musiciens, danseurs, etc.), ainsi que les techniciens et les équipes de production (son, lumière, backline, directeur de production, agent de booking, etc.).

En plus des cachets, le festival fournit généralement du personnel, de l’équipement, des services techniques, de l’hébergement, du catering, etc. Un festival avec une centaine de groupes programmés, c’est une centaine de négociations à mener.

Les exigences contractuelles vont du minimum syndical aux caprices les plus extravagants : qualité du coton de la literie, marque de whisky, couleur des M&M’s, température exacte de l’eau en bouteille… Je n’exagère pas. C’est drôle après coup, quand on en parle avec ceux dont c’est le métier de rédiger les contrats, mais c’est un véritable calvaire pour ceux qui doivent livrer la marchandise avant, pendant et après le concert.

6. Les festivals OBNL ou OBE sont-ils exemptés du versement des droits d’auteur à la SOCAN ?
Non. Ni au Canada ni ailleurs.

Même en étant OBNL ou OBE, les festivals doivent s’acquitter des droits d’exécution publique pour toute musique protégée par le droit d’auteur, quelle que soit la provenance du répertoire (canadien ou international).

Ce que dit la loi :

  1. La Loi sur le droit d’auteur s’applique à toute utilisation publique d’œuvres protégées : concerts, festivals, diffusions, etc.
  2. Le statut fiscal (OBNL ou OBE) n’annule pas l’obligation de rémunérer les ayants droit par l’intermédiaire des sociétés de gestion collective (comme la SOCAN).

Qu’une chanson soit interprétée sur les Plaines d’Abraham, au Beat & Betterave, au Centre Bell, à la Place des arts ou au Magasin général Lebrun, les droits sont dus aux auteurs, compositeurs et éditeurs… pas aux interprètes (sauf s’ils jouent leurs propres œuvres).

7. Pourquoi certains artistes sont-ils cités dans la plainte (Karkwa, Les Trois Accords, Bleu Jeans Bleu, Alexandra Stréliski, Half Moon Run) ?
Selon moi, le but est de sensibiliser le public et les artistes locaux pour qu’ils soutiennent la démarche de la SOCAN dans les médias et sur les réseaux.

En réalité, les redevances sont dues à tous les créateurs d’oeuvres, connus ou non, locaux ou internationaux. La SOCAN collecte les droits pour tout le répertoire interprété au Canada, et les redistribue via les sociétés de gestion collective des pays concernés.

8. Pourquoi viser le FEQ alors que le communiqué parle de « tous les festivals » ?
Toujours selon moi — in my opinion —, la SOCAN et le FEQ n’arrivent pas à s’entendre sur le montant des sommes dues. Le conflit dure depuis longtemps, chacun campe sur ses positions, et la SOCAN, à court d’options, finit par porter l’affaire devant les tribunaux.

Peut-être que d’autres festivals ont déjà trouvé un terrain d’entente. Peut-être aussi que cette poursuite vise à faire jurisprudence ou envoyer un message à d’autres organisateurs qui revendiqueraient des privilèges liés à leur statut fiscal.

9. Comment sont calculés les droits d’auteur pour un concert ?

  • a) SOCAN collecte des droits sur tout le répertoire interprété au Canada, qu’il soit local ou international.
  • b) Les sociétés de gestion dans le monde font de même et se renvoient les montants à redistribuer à leurs membres.

Exemple :

  • Jean Jean (SOCAN) est diffusé sur France Inter → la SACEM collecte → reverse à la SOCAN → qui paie Jean Jean et son éditeur.
  • Paul Paul (SACEM) est diffusé sur Radio-Canada → la SOCAN collecte → reverse à la SACEM → qui paie Paul Paul et son éditeur.
  • c) Le Tarif SOCAN 4A pour concerts payants : 3 % des recettes brutes (avant taxes), avec un minimum de 35 $ par événement.
  • d) Plus la jauge et le prix du billet sont élevés, plus la redevance augmente.
  • e) Ce tarif est obligatoire en vertu de la Loi sur le droit d’auteur.
  • f) Il s’agit d’une redevance d’exécution publique, non d’un droit de reproduction ou de synchronisation.
  • g) La SOCAN agit pour ses membres et les sociétés étrangères (SACEM, BMI, GEMA, etc.).
  • h) Les tarifs sont déposés et approuvés par la Commission du droit d’auteur du Canada.

10. Alors, c’est quoi le problème avec les festivals ?

Le FEQ affirme :

« En vertu de sa mission et de son statut légal, le Festival d’été international de Québec (FEIQ), organisme de bienfaisance enregistré (OBE), est exempté, de par la Loi sur le droit d’auteur, du paiement des redevances payables aux auteurs, compositeurs et éditeurs. (…) Plusieurs organismes comparables partagent cette interprétation de la loi. »

Sauf erreur, cet énoncé est inexact. Le statut fiscal (OBNL ou OBE) ne dispense pas d’acquitter les droits d’auteur.

À moins que BLEUFEU (le fameux CAE 9861) n’ait été créé en 2022 pour contourner les obligations habituelles… c’est possible.

Ce qui est certain, c’est que le tarif SOCAN 4A (3 % des recettes de billetterie) n’est pas toujours adapté aux festivals, surtout quand les concerts sont gratuits ou que le modèle repose sur des forfaits. Les festivals et la SOCAN négocient souvent des ententes sur mesure. Mais aucun statut fiscal ne garantit automatiquement l’exonération des droits dus aux auteurs et éditeurs.

Encore faut-il que les setlists soient déclarées pour permettre à la SOCAN de redistribuer correctement les redevances. Et ça, c’est un autre problème, pas encore résolu au Canada…

Et en France on fait comment ?

En France, où le droit d’auteur est historiquement acquis et largement respecté, la SACEM procède ainsi :

1. Le festival paie une redevance à la SACEM
   a) La base du calcul :
   – la jauge du lieu (capacité d’accueil)
   – le prix du billet (ou la gratuité)
   – le nombre de concerts
   – la durée des concerts
   – et la part de musique vivante ou enregistrée

b) Cas des festivals gratuits :
   Même en l’absence de billetterie, la SACEM exige une redevance (forfaitaire ou calculée selon le budget de production, le nombre de spectateurs, etc.).

c) Montants :
   Le tarif courant pour un festival est de 8 % des recettes HT liées au spectacle (billetterie, subventions affectées, etc.), négociable par convention. Ce taux peut être réduit selon des barèmes préétablis.

2. Le programme (setlist) est déclaré à la SACEM :
   Chaque artiste ou groupe doit transmettre à la SACEM :
   – un programme de concert (bordereau de déclaration),
   – indiquant les titres joués, leurs durées, et les auteurs / compositeurs / éditeurs associés.

Sans cette déclaration, aucun droit ne peut être redistribué.

Et bien voilà ! La SOCAN et les Festivals sont essentiels pour nous les artistes et vous le public. Essayez de vous entendre. Quand deux bonnes et belles choses, les festivals et la gestion collective, n’arrivent pas à tourner rond ensemble…

Tout fait l'amour et moi j'ajoute, 
Lorsque tu dis : tout fait l'amour
Même le pas avec la route
La baguette avec le tambour

Même le doigt avec la bague
Même la rime et la raison
Même le vent avec la vague
Le regard avec l'horizon

La Socan avec le FEQ 🙂
(extrait du Baiser, mon prochain album... sauf la dernière ligne)

Le Festival d’été de Québec vs La SOCAN

Dans la Presse

Dans le Devoir

The Gazette

Poursuite de la SOCAN: le FEQ conteste la procédure judiciaire

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